Entends-tu le vol noir des pirates ?
Auteur, quand ton œuvre est partagée, tu n’es pas lésé. Le lecteur que tu discrimines aujourd’hui, demain fera sortir de l’ombre des acheteurs.
Ce texte, qui aurait pu s’appeler « les auteurs pour le partage », est une réponse aux signataires de la pétition « les auteurs contre le piratage ».
Pétition qui ne propose rien d’autre que le statu quo.
– On en a gros !
– Ouais, c’est pas faux !
En citant les deux phrases précédentes, je fais de la publicité pour une œuvre que je n’ai jamais payée pour regarder. Pourtant, cette publicité peut engendrer des revenus pour son auteur qui est farouchement opposé au partage.
Définition d’un autre temps du mot pirate :
Individu qui s’empare du contenu des œuvres artistiques ou intellectuelles en les copiant ou les plagiant, ou en les reproduisant illicitement.
Au commencement était le Partage
Au commencement du partage, il y avait la famille et les amis. Et puis la famille de ses amis. Mais aussi les amis de cette famille. L’échange avait lieu de paires à paires – oui, les interactions se faisaient souvent entre mâles. Et comme il devenait difficile de partager à l’identique avec tout ce monde, on se retrouvait souvent avec le pire du pire. Mais, bientôt une idée allait naître. La technique était suffisamment mâture pour que naisse l’échange pair à pair.
Une nouvelle ère du partage commençait.
En concurrence à cette évolution technique, d’autres pratiques vieilles comme l’humanité ont su faire peau neuve et muer : la bibliothèque et le vide grenier.
– Une autre fois, je vous raconterai comment Jésus en multipliant les pains à l’identique permit aux bibliothèques et aux moines copistes, de prendre de l’essor. Moines copistes qui à défaut de pouvoir transmettre leurs gènes reproduisaient les livres. Et comment, ces derniers en perpétuant leurs efforts de génération en génération ont fini par donner naissance au direct download.
Vous découvrirez également la face sombre du monde du livre, le marché noir avec les vides greniers où se vendent des livres sans qu’aucun ayant droit – les auteurs et leurs héritiers, mais également les éditeurs – ne touche sa part du gâteau. Pratique tolérée car il y a échange d’argent et un droit d’entrée est payé, rien de subversif. –
Le peer-to-peer autorise le partage gratuit, le don, et là est bien le problème. Il est impossible de taxer du gratuit, il n’est pas possible de ponctionner le moindre centime.
Fait passer à ton voisin
Poser un livre sur un banc et l’oublier volontairement pour qu’il soit trouvé et lu, serait-il devenu un acte de rébellion ?
Donner ou prêter un livre à une connaissance, c’est du partage, personne n’osera parler de piratage.
Cet acte innocent au premier abord, de donner ou de prêter, nous le pratiquons tous, tous les jours.
Les pirates, qui ne sont autres que monsieur Toutlemonde, font partie d’une grande famille.
Mettez les sourires en libre-service et ils se propageront. Rendez-les payants, plus personne ne sourira.
Ayez foi en l’humain !
Êtes-vous si sombre dans votre cœur pour croire que celui que vous appelez pirate ne partagera pas la découverte d’un trésor ? de votre trésor ?
Le pirate moderne ne vous veut pas de mal. Il ne cherche que son enrichissement culturel, il ne revend pas ses prises. Dès que l’occasion lui en sera faite, il parlera de votre chef d’œuvre autour de lui.
C’est comme cela que sans le savoir, vous augmentez vos ventes. Il n’y a pas de chiffres pour vous le démontrer et c’est en cela que réside la faiblesse du système, rendant les auteurs manipulables par de méchants requins.
Le pirate ne prend pas un livre pour le diffuser gratuitement en ayant l’objectif de nuire. Il n’envoie pas ce dernier par email à toutes les personnes de France et au-delà dans l’espoir que suite à cela, vous ne puissiez plus vendre.
J’entends crier au loup, pourtant, le pirate n’est pas un bandit de grand chemin, il ne fait qu’un usage personnel et récréatif.
Vous pratiquez vous-mêmes le partage gratuit sans vous en rendre compte. Lorsque vous envoyez sans arrière-pensée votre livre à un journaliste, il lira votre livre, mais n’en parlera pas nécessairement. S’il a aimé, il se fera un plaisir de prêcher la bonne parole sur vos saints écrits.
Lorsque vous êtes partagé par les pirates, quelques individus achètent votre livre après l’avoir lu, quelques autres un peu plus nombreux – quand l’auteur leur en donne les moyens – font des dons directs pour renflouer vos caisses. Mais la plupart des gens parlent du livre autour d’eux. Si c’est en bien, ils généreront des ventes en magasin. Cela fonctionne également pour les films, les musiques, les spectacles.
Personne ne semble se plaindre de ses ventes induites par le piratage ; bizarre.
Pour aider un auteur, de nombreux moyens existent, mais l’un des plus simples à mettre en place est le système flattR spécialement créé pour répondre aux besoins des artistes par l’un des fondateurs de The Pirate Bay.
Échantillon gratuit, dealers de rêves
Alors que certains déplorent que leur livre soit piraté, d’autres en seraient bien contents.
Contents de pouvoir s’écrier : « Chouette, mon livre est piraté ! »
Drôle de situation que celle de l’auteur qui pour se faire connaître donne à tout va des versions gratuites de son livre à qui le veut, famille, amis, journalistes, mais qui ne peut pas accepter que son livre soit téléchargé gratuitement.
Être partagé, n’est-il pas le début de la reconnaissance ?
Pour mieux vendre, l’auteur doit distribuer des échantillons gratuits de ses œuvres. Rendre la clientèle accroc avant que cette dernière ne souhaite payer pour en avoir plus.
Les lecteurs pirates sont nos amis, il faut les aimer aussi
Celui que nous appelons pirate, qui navigue dans les eaux troubles d’océans remplis d’octets, est un lecteur ; et sans lecteur il n’y a pas de livre.
Les auteurs se trompent de combat, les lecteurs sont leurs amis, pas leurs ennemis.
Les gens préfèrent débourser pour posséder, l’acte les rend supérieurs par rapport à ceux qui ne peuvent pas se le permettre. Socialement parlant, l’achat est plus prestigieux que tout le reste, que le don, le partage ou le vol.
Pourquoi les gens veulent-ils du Vuitton, et ne se satisfont pas d’un sac Riton et Suitton, culturellement moins prestigieux ? Pourquoi les gens qui achètent des contremarques, lorsqu’ils viennent à avoir de l’argent, se mettent à acheter les marques originales pourtant plus chères ?
Peut-être est-il temps de mettre sur le tapis le revenu de vie, plutôt que de s’en prendre à des vies sans revenus.
Travaille, ou fait mine, et arrête les parties
Si vous ne vendez pas assez selon vos goûts, ne vous en prenez pas aux autres ! Remisez votre ego au placard et remettez-vous en question !
N’écrivez-vous pas pour une niche trop restreinte ? Vos textes sont-ils aboutis ? Ne dénigrez-vous pas vos lecteurs ? Faites-vous suffisamment de publicité ? Travaillez-vous suffisamment ? Et surtout, avez-vous distribué suffisamment d’exemplaires gratuits ?
Pour que les ventes décollent, vous devez atteindre un seuil critique. Si personne ne sait que votre œuvre existe, comment voulez-vous qu’elle se vende ? Si ce que vous écrivez a le potentiel pour intéresser 1 personne sur 10 000, et que seule une centaine de personnes est au courant… vous comprenez ?
Faites de la publicité
Est-ce que l’auteur se plaint de la publicité que lui fait sa maison d’édition ? L’argent dépensé pour sa promotion aurait pourtant pu lui être versé directement.
Les journalistes sont là pour cela, mais vous dépendez de leur bon vouloir. Je vais vous conseiller un moyen efficace et pas cher de faire connaître votre œuvre, cela s’appelle le piratage. Vous ne savez pas comment faire ? Lancez un appel à l’aide, il sera facilement relayé.
Je ne cherche pas à convaincre les auteurs qui se pensent lésés, ils ont choisi le camp des victimes, ils ont choisi de se montrer en martyrs. Ce sont des causes perdues, le monde change trop vite pour eux.
Mais que les sans avis, les nouveaux arrivants, les futurs écrivains, réfléchissent à la question.
Les auteurs brimés quant à eux passent plus de temps à crier au loup qu’à écrire. Peut-être faudrait-il leur rappeler que auteur n’est qu’un statut temporaire, cela se mérite. Ces malheureux ont choisi d’accuser d’autres de leur infortune plutôt que de relever les manches.
Si vous trouvez que vous ne vendez pas assez, mettez les bouchées doubles que diable !
Cessez de vous adonner au sport (inter)national qui consiste à se lamenter sur son sort. Le temps passé à gémir est du temps où l’on ne crée rien, où l’on ne fait passer aucun message.
Si vous estimez être lésés, cessés de lutter contre un phénomène que vous ne pouvez pas empêcher, et travaillez à votre métier, écrivez plus pour compenser le manque à gagner.
Écrivez plus pour gagner plus !
Est-ce que le piratage est une excuse pour J. K. Rowling, Stephen King ou encore George R. R. Martin – pour ne parler que d’eux – pour ne pas gagner d’argent ? Car eux ne se font pas pirater 100 petits livres. Vous allez me dire, cela n’est pas pareil, et effectivement, écoutez-les parler, ce sont des bêtes de travail. Ils mettent tout en œuvre afin de pouvoir continuer à vivre de leur plume.
George Lucas tire ses plus gros revenus non pas de ses œuvres principales, mais des royalties sur les ventes annexes à celles-ci. Peut-être tenons-nous une piste à explorer ?
Si j’hésite entre 2 cds de musique, je choisirai toujours celui contenant le plus d’extras, celui où les paroles des chansons sont fournies. Ce n’est pas grand-chose, quelques heures de travail supplémentaires, mais ce petit plus peut faire une grosse différence sur les ventes.
Si vous ne savez pas vous occuper du marketing, ne vous en occupez pas. Payez quelqu’un pour le faire, ne cherchez pas d’excuses, vous les trouveriez.
Créer est un acte permanent.
Parfois la vérité est ailleurs
Les pirates ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
« Parfois le livre est volé dans la maison d’édition ou chez l’imprimeur ! J’ai ainsi un de mes livres qui a été piraté et qui pourtant n’a jamais été mis dans un format numérique et qui n’a pas été scanné. Une solution serait d’exiger des éditeurs d’indemniser l’auteur si son livre est piraté ! »
Jean d’Aillon
Parfois l’auteur met lui-même son œuvre en téléchargement. Que penser de cet auteur ? Dans quelle catégorie pouvons-nous ranger cette brebis galeuse ?
Que penser de Laurent Chemla qui a mis à disposition gratuitement ses écrits sur Internet. Ce qui ne l’empêche nullement d’être édité.
Ou encore de Cory Doctorow pour des écrits en anglais téléchargeables gratuitement sur son site. Cory Doctorow est également édité.
Professionnaliser le « métier »
Peut-être est-il temps de professionnaliser le « métier » qui en France reste à l’état d’embryon. Écrire, c’est de l’artisanat où une même et seule personne se doit de tout faire.
Tout le monde n’est pas bon scénariste, dialoguiste, commercial, maquettiste, communicant, etc.
Ce que désirent généralement les écrivains, c’est écrire. Quelques autres souhaitent éventuellement être lus.
L’époque où seuls les rentiers écrivaient est loin derrière nous.
Pourquoi laisser la majorité des auteurs dans la précarité en leur refusant un salaire mensuel ?
Pourquoi les auteurs doivent-ils travailler 6 mois, 1 an, parfois plus à l’écriture sans être payés, puis attendre jusqu’à 3 mois la publication de leurs écrits, et encore attendre plus d’1 an pour percevoir des royalties ? Qui peut se permettre de vivre sans le sou pendant tout ce temps ? Assurément, pas tout le monde, pas grand monde.
Royalties et salaire mensuel ne sont pas incompatibles.
Que cela n’empêche pas les maisons d’édition d’exister. Bien au contraire, elles jouent un rôle et occupent une place dont on peut difficilement se passer. Mais tout le monde gagnerait à leur transformation et à la professionnalisation du métier. L’argent est entre leurs mains. Elles ont l’initiative.
Ne mélangeons pas les torchons et les serviettes
Où l’on confond téléchargement et vente ratée.
Où l’on confond téléchargement et lecture.
Où l’on confond contenant et contenu.
Où l’on confond liberté et protection.
Où l’on confond partage et piratage.
Où l’on confond à peu près tout…
Un des mythes sur le téléchargement est de croire que tout ce qui est téléchargé est utilisé.
Croyez-vous que les gens qui téléchargent des packs de 10 000 livres vont les lire dans le mois en cours, avant de recommencer et télécharger un nouveau pack ?
Les downloads à l’unité sont logés à la même enseigne.
Un livre téléchargé n’est pas un livre lu, n’est pas une vente ratée.
Le phénomène existe également AFK – IRL pour les vieux jeux, ou pour les très vieux jeux, dans la vraie vie – . Au risque de vous désillusionner :
Un livre acheté en librairie n’est pas un livre nécessairement lu.
Nous connaissons tous ce sentiment réconfortant, rassurant, quand nous possédons. Posséder au cas où pour certains, posséder pour parader pour d’autres, et posséder parce que l’on croit reconnaître dans cet état un but ultime à la vie pour tous les autres.
Cette boulimie se traduit par l’accumulation d’objets inutiles, que l’on finit par jeter car déprimés de ne pas en avoir d’utilité. On fait de même avec la nourriture que l’on finit par jeter car périmée de ne pas avoir été consommée. Le phénomène n’est donc pas propre au monde de la création.
Retournement de veste
Au fil des mots, j’en viens à me laisser convaincre par l’appel des auteurs contre le piratage. Amis auteurs, vous avez raison.
Je lance un appel aux pirates : « Pirates de tous bords, en batterie, arrêtez d’être cons ! »
« Cessez immédiatement de télécharger ces gens d’un autre temps. Concentrez-vous plutôt sur des gens qui le méritent, qui ont des choses à dire. Faites découvrir des styles, des histoires, des œuvres, des auteurs. Délaissez-les, laissez ces auteurs qui se font de la publicité sur votre dos en vous crachant dessus. Laissez-les croupir dans les oubliettes de l’anonymat avec leur livre pour seul compagnon. Ils continueront à se plaindre, mais plus personne ne pourra les entendre. »
Le domaine du public
Un auteur ne peut être accompli que lorsqu’il intègre le partage de son œuvre comme une composante obligatoire de sa vie.
Plus on vend, et plus on sera partagé. Il n’a rien à y faire, que cela se fasse par un moyen électronique, sur un support physique autre, ou par transmission orale, il ne sert à rien de vouloir jouer au don Quichotte. Vous n’avez pas pour mission de parcourir Internet pour combattre le mal et protéger ceux que vous déclarez comme opprimés – dont vous-mêmes.
En publiant, nous offrons une partie de nous-mêmes à la postérité. Ne soyons pas élitistes et diffusons le plus largement nos œuvres.
Et n’oubliez pas, publier c’est rendre public !
Un auteur.
À votre bon partage !
Ce texte est en CC-By-Sa 3.0
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Crédits photos
– The Colorful Library of an Interaction Designer (Juhan Sonin) / 20100423.7D.05887.P1 / SML by See-ming Lee, on Flickr
– Portrait by Jonathan Worth 3, credit Jonathan Worth, link to http://jonathanworth.com by Cory Doctorow, on Flickr
– Affiche du film TPB AFK – The Pirate Bay Away From Keyboard, by Simon Klose (http://www.tpbafk.tv/press-kit/)
– Mimi & Eunice, dessins par Nina Paley, CC-BY-SA 3.0, textes par Menbiens
– Le logo pirate bay est en licence kopimi
– Les autres images sont en CC0