Extrait Des vies autour du monde 1.Une aventure ordinaire
Marche nocturne
Nous avons échappé au démembrement, nous avançons vers le dénouement.
La progression se fait toujours lente. Nous ne voyons pas très bien où nous posons les pieds. Si nous essayons d’allonger la foulée, d’accroître le rythme, d’intensifier l’effort, nous nous retrouvons déséquilibrés par nos sacs, comme si nous avions abusé de l’alcool.
À chaque croisement de voiture, nous sommes aveuglés, frappés par la violence de leurs feux. La pénitence est proportionnelle à l’intensité du jet de lumière. Les pleins phares, comme les feux mal réglés, un peu trop hauts, nous brûlent les yeux ; des larmes coulent. Impuissants, nous souffrons. Pour seule protection, nous nous couvrons les yeux d’un bras, d’une main, nous arrêtant pour laisser passer le mauvais moment.
Notre progression déjà lente ne gagne pas en rapidité.
Les voitures arrivant avec les lumières à pleine puissance ne se tourmentent pas pour les enlever. Nous pestons contre ces damnés conducteurs et leur incivilité. Le défoulement verbal nous permet de préserver notre santé mentale, de ne pas laisser notre esprit se faire ronger par la paralysie forcée.
Lorsque deux voitures se font face, sous la menace mutuelle de l’éblouissement, nous bénéficions d’une lumière moins brutale. Nous voyons où nous mettons les pieds pendant quelques secondes. Répit de courte durée. Nous en profitons pour mémoriser les trous et irrégularités des prochains mètres.
L’épuisement nous abat, nous nous autorisons une pause ; loin d’être un luxe. Notre corps rempli d’acides lactiques nous le demande. Nous aimerions tellement aller nous coucher. Nous débouclons les harnais de nos sacs que nous laissons choir sur le bitume, à peine ralentis dans leur chute. Nous ne sommes en mouvement que depuis une demi-heure, les arcanes du temps nous échappent, nous avons l’impression d’une marche perpétuelle.
Nous mettons une limite à notre pause, cinq minutes vite écoulées.
La fatigue ne diminue pas, pour nous reposer, nous devrons attendre de nous coucher. Nous sommes en lutte contre nous-mêmes, notre corps refuse d’avancer, nous ne l’écoutons pas. Nous hissons nos sacs nous paraissant de plus en plus lourds à porter, nous demandant si nous avons bien fait de les ôter. Nous reprenons notre avancée, pressés d’en finir.
Bientôt, nos tourments sont soulagés, relevés d’un poids. Nous apercevons au loin ce que nous espérons être l’entrée de l’autoroute. Au sommet d’une colline, certainement artificielle, des drapeaux flottent au vent, éclairés par de puissantes lumières. Il y a un maître des lieux et il veut le faire savoir. Dans le coin désert, les possibilités ne sont pas nombreuses ; soit nous faisons face à un dépôt de camions, soit ce qui nous arrangerait plus, à l’autoroute.
La sortie du tunnel ? Nous prétendons qu’il s’agit de la gare de péage ; nous nous créons une vérité qui plaît. Si nous sommes dans l’erreur, le temps d’en prendre conscience, nous aurons avancé l’esprit plus léger.
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