Extrait Des vies autour du monde 1.Une aventure ordinaire
Ventimiglia
Nous guettons à l’extérieur les fluctuations dans le décor de la matrice, les signes nous indiquant le changement de pays. Nous passons la frontière, rien ne se produit. Nous sommes toujours dans le train, les gens ne se sont pas soudainement transformés, la mer est tout aussi bleue. Nous devons attendre d’arriver à destination pour découvrir plus en détail les charmes de l’Italie. La hâte de descendre se fait grandissante.
Arrivée en gare. Nous partions pour Vintimille, nous arrivons à Ventimiglia.
Nous descendons sur le quai, posons le pied en Italie.
Début d’une histoire d’amour qui s’ignore encore. Ménage à trois, une femme, un homme, un pays.
Nous n’avons pas loisir de profiter du moment, l’accueil n’est pas des plus chaleureux : contrôle douanier.
Des carabiniers – équivalent de nos gendarmes – , chiens en laisse, mitraillette au poing, s’agitent sur le quai. Ils affichent un air sévère. Sans doute à la recherche de possesseurs de drogues plus ou moins douces, les bergers allemands surexcités tirent sur leur laisse pointant le museau en direction de chaque passager. Le sérieux de leurs maîtres n’invite pas à la plaisanterie, contentons-nous des civilités. Si nous pouvions éviter une fouille au corps et l’étalement de nos affaires sur le quai de gare, nous ne nous en porterions pas plus mal.
Un reniflement et nous pouvons passer. Les pièces d’identité ne sont pas demandées, les clandestins sont tranquilles.
Nous sommes en transit. Nous devons acheter des billets de train pour continuer. Nous ne pourrons pas user de l’insidieuse excuse du « problème informatique » en cas de contrôle. La ferme d’accueil où nous nous rendons se trouve à la frontière de deux régions italiennes, Toscane et Ligurie, à Sarzana. Amplement ignorants de la géographie et de l’histoire italienne, ces noms ne nous parlent guère.
Nous trouvons facilement la billetterie. Débordant de bonnes résolutions, nous sommes décidés à parler en italien.
Nous commençons le chapitre de notre apprentissage de la langue. Pour nous aider dans notre quête, nous nous munissons de notre petit guide pratique. Les nombreuses phrases utiles qu’il contient devraient nous permettre de nous en sortir. Nous le feuilletons rapidement à la recherche de notre première phrase. Notre tour arrive bientôt, une unique personne se trouve devant nous.
Nous naviguons entre les pages de formule de politesse et celles concernant les transports. Une fois la page trouvée, nous devons encore pointer la phrase qui nous intéresse et la modifier pour l’adapter à nos besoins exacts. Ne nous reste alors plus qu’à retenir la phonétique. Les allers-retours incessants afin de mémoriser les phrases sont laborieux.
Arrive notre tour. Nous saluons le guichetier : « Buon giorno ! » Nous passons sans attendre à la suite, changeant de page à la recherche de la phrase à recomposer. Je fais un premier passage rapide dans le livre, mais ne m’y retrouve pas. Les secondes nous paraissent des minutes pour notre interlocuteur. Claudia prend le livre pour venir à mon aide, mais les pages sont perdues dans la manœuvre.
Nous devenons soudains muets ; nous ne pouvons plus nous faire comprendre par la voix.
Nous hésitons un instant ; nous ne rouvrons pas le livre. Nous craquons devant l’ampleur de la tâche. Nous demandons honteux au guichetier s’il ne parle pas français. Sa réponse positive nous rassure. La communication redevenue aisée, nous achetons les billets de train dans notre langue natale.
Nous avons surestimé la facilité d’usage du guide. Nous allons devoir nous entraîner pendant la prochaine quinzaine. Espérons avoir le temps d’apprendre dans notre famille d’accueil.
Nous n’avons pas longtemps à attendre avant le départ de notre train ; nous ne pouvons pas partir à la découverte des environs. Juste un petit coup d’œil curieux à l’extérieur de la gare pour capturer un instantané d’ambiance. Le tableau que nous apercevons dépeint une caricature ; Fiat et scooters sont nombreux aux abords de la gare. Les bâtiments sont plus colorés qu’à quelques kilomètres de là, en France. Nous entendons parler ; la mélodie des phrases caresse nos oreilles. Le décor est planté.